Lucie Lanzini

Publié dans ARTS+ (catalogue monographique), juin 2022

Fr / En

Print
 

Entre sculpture et installation, Lucie Lanzini élabore ses œuvres en tension. Elle les façonne par des associations, souvent paradoxales de matériaux – bruts, organiques ou plastiques – et d’échelles qui troublent la fonction des éléments qu’elle symbolise. Grâce à des techniques de productions exigeantes – sablage, argenture, oxydation du verre, moulage, empreinte etc. – Lanzini repousse sans cesse les limites de ses savoir-faire. Elle s’attache aux matériaux pour leur valeur d’usage et leur capacité à transformer l’objet. Le résultat est troublant, parfois étrange, comme les noix en verre translucides et les feuilles d’arbres en jesmonite. De récents nœuds et éponges en bronze (Fouloir, 2021) sont la traces de l’obsession latente de l’artiste à repousser, étirer, façonner les contraintes et les possibilités de la matérialité.


Depuis leurs premières expositions en Belgique en 2013, les œuvres de Lucie Lanzini (née en 1986 à Belfort, France) semblent s’être libérées. Les éléments d’architectures récurrents – plinthes, colonnes, portes, châssis – ou d’ornementations servent toujours de structures graphiques aux volumes dessinés par les vides et les pleins. Mais par les couleurs vives dont elles se teintent parfois, les formes moins timides échappent (un terme d’ailleurs repris dans plusieurs titres) davantage à leur fixité, à leurs contextes d’origine et s’insèrent dans des environnements domestiques ou naturels plus incongrus. Les verts, les jaunes, les bleus vifs et acides jouent avec une artificialité toute assumée.


Lucie Lanzini qui s’amuse du trompe l’œil ne croit pas en cette illusion. Elle rappelle plutôt les fonctions de la sculpture. Comme le prouvaient les Répertoires (2019), de petits bas-reliefs recensant des formes, des modèles et des textures au cœur de la pratique, l’artiste procède par assemblage et en conversation. En exposant ouvertement cet index, elle revendique une appartenance à une école de la composition et de la matière, renvoyant à l’essence même du geste de sculpteur.rice. Elle convie à apprécier l’inventivité renouvelée d’une pratique qui détourne l’ordinaire.


Avec les Captives (Maison des Arts des Chartreux à Bruxelles, 2016) et les mi-roirs apposés à même le sol contre les monolithes gris en polyuréthane, l’artiste proposait déjà de nouvelles percées vers ce à quoi l’on ne prête pas attention. Les jeux de lumières et de reflets permis par les surfaces polies offraient une mobilité nouvelle aux contours fixes des blocs presque marbrés. Les rampes et les gardes corps en verre (Succession, 2019) prolongeaient la réflexion autour de l’espace et la façon dont une sculpture y prend place. Dans le patio de 10N à Bruxelles pour l’exposition collective Time hangs heavy (2021), les rideaux en silicone blanc (Reversed skin) imitaient les briques du bâtiment de la fin des années 1950. Installés dehors contre les baies vitrées, ils renversaient l’intimité d’un lieu bourgeois vers l’espace naturel, interrogeant le rôle décoratif et structurel de ces agencements. Entre intérieur et extérieur, ses œuvres renvoient souvent à l’ambiguïté de la frontière et du lieu de passage qui relie mais sépare, soutient mais contraint. À la Friche Belle de Mai de Marseille et dernièrement à DMW Gallery, ses grandes pièces rondes en résine suspendues s’imposaient au regard tels des agrandisseurs.

Les Oculus transparents mais opaques laissent voir la réalité avec un temps de pause. Ils proposent un ralentissement pour observer l’épaisseur du monde.


Les environnements de Lucie Lanzini sont truffés d’indices et de dissonances. Comme les flèches de The arrow of times ou les colonnes colorées (Balises) de la Biennale d’Enghien (2020), ces perturbations signalent de l’invraisemblance mais rappellent surtout la vie que l’artiste insuffle dans ses installations. Les situations insolites qu’elle produit invitent à d’autres circulations, elles défient l’impermanence et guident le regard vers ce que l’on attend pas.