Entre les mur(mure)s ⟡ Wim De Pauw

Publié dans l'art même, n°89, janvier 2023


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Ces dernières années, Wim De Pauw (°1989, Belgique ; vit et travaille à Bruxelles) a engagé une série d’œuvres autour du langage et des mots, de leur plasticité et de leur expérience physique dans l’espace. Son travail, récompensé à Art Contest 2022 par les prix SABAM et Fondation CAB, est à découvrir cet hiver dans l’exposition finale du HISK, A glittering ruin sucked upwards. Sa prochaine résidence au WIELS (2023) nous offre l’occasion de revenir sur son actualité et sa pratique qui naviguent entre approches conceptuelles, poétiques et critiques.



Wim De Pauw, qui ne s’attache à aucun médium, procède par affinités et selon les contextes, notamment architecturaux. Ses présentations associent des œuvres textuelles (sonores ou imprimées) à des compositions sculpturales, des matériaux trouvés et des collections d’images d’objets réunis par les questions sémantiques qu’ils soulèvent. De ses débuts en tant que peintre, il conserve surtout un attachement au cadre et aux structures dont il détourne les fonctions. En 2016, la photographie d’une peinture-objet (une living still life), Putting The S(h)elf Under Scrutiny scelle les fondements de sa pratique actuelle : les panneaux de la peinture ne sont plus les supports de l’image, ils deviennent l’image. L’artiste les anime en les faisant glisser le long des murs ou au sol, comme une plateforme1. De leurs possibilités combinatoires naissent des espaces modulables, proches de géographies urbaines et familières. D’une œuvre à l’autre, les réseaux visuels et sonores (Ramblings of a WannabeWannabe, 2022) dessinent des alphabets d’architectures, des villes volubiles et trompeuses, dont les désirs qu’elles dissimulent nous interpellent sur les utopies modernes qui nous entourent.  Sa récente exposition Wor(l)d FATIGUEà Art Contest donnait à expérimenter ces relations matérielles et alternatives à l’architecture, à son langage et à ses transformations. Dans l’espace simplement structuré par un banc de métro et un carton sur lequel reposaient des journaux édités par ses soins, nous étions entrainé·e·s dans une ronde de mots projetés par intermittence au ras du sol depuis une plateforme rotative. Tels les sous-titres d’un film muet, les lettres traçaient l’horizon de relations non hiérarchiques entre le bâtiment et nous2, volontairement aléatoires et poétiques. Le long d’une “architexture”3, le poème nous guidait vers les stigmates du temps inscrits sur les cimaises, elles-mêmes vouées à “disparaître”4. Comme souvent chez De Pauw, les lieux se révèlent dans et par le(s) lux où la banalité de l’environnement quotidien et ses rebuts génèrent de nouvelles formes. Au mur, des feuillets rouges imprimés de textes d’exposition évidés (Sans Rien Dire/Ex. Echoes, 2021) nous attiraient vers le son mystérieux d’une voix. Les in/expirations d’une logorrhée sans mots traduisaient l’expérience minimale et puissamment physique de la langue sans parole de l’édifice. C’est avec une pointe d’ironie que De Pauw s’infiltra aussi dans la communication interne du concours pour mieux en détourner les codes. En collaboration étroite avec Maya Strobbe sélectionnée à la suite d’un appel à projet généré comme un protocole, il développa un alter logo où les lettres d’Art Contest semblaient s’être évanouies.


Précédemment, De Pauw avait inauguré sa propre plateforme de présentation, The Letter Space Department, en réaction à l’institution en déclin du HISK5. En lieu et place des traditionnelles ouvertures publiques des ateliers, cette plateforme artistique, également soutenue par son propre système de subvention grâce à la vente d’une édition (Reclaiming I in Institute, 2022), proposait un programme de performances, une librairie éphémère et la production de podcasts. Rebaptisée The Letter Escape Department, elle vogue désor-mais telle une coquille de noix en dehors du HISK à Gand, pour s’implanter dernièrement à Bruxelles dans l’exposition finale des résidents.Au travers des activations de l’exposition par le biais de diverses rencontres et événements, le projet, accompagné par le commissaire Yann Chateigné-Tytelman, est imaginé comme une capsule temporelle laissant place au hasard et aux échanges plutôt qu’à la présentation d’objets matériels finis. Dans ce contexte, Wim De Pauw a amarré son atelier depuis septembre dans les espaces de l’ancienne usine Gosset. Il échafaude, pour la restitution collective, une performance textuelle en collaboration avec Hamed Dehqan ainsi qu’une composition sonore dans le même esprit que celle d’Art Contest. Diffusé dans la cage d’esca-lier menant au 1er étage, le son haché des essouflements de l’artiste nous embarque dans la mémoire d’un lieu marqué par la production de cigarettes. En puisant leur inspiration dans les travaux d’une communauté d’artistes et de penseur·euse·s  (Kathy Acker, Manon De Boer, Anne Carson, Hanne Lippard ), l’intertextualité et la polyphonie de ses œuvres ouvrent vers des espaces d’attention, pour une expérience des mots et de la langue matérielle et palpable



1 Voir les projets A Studio Specific Situation, 2021, Gand ; Zugzwang, Regatta.2, Düsseldorf, 2020.


2. L’espace Vanderborght est un bâtiment moderniste construit entre 1932 et 1935 qui a été utilisé jusqu’en 1980 comme magasin de meubles et de détente. Il devrait abriter le futur Musée d’art moderne de Bruxelles.


3. Wall talk, walk tall (Subtitles for VDB), 2022.


4. Noting No Thing, 2022, encre bic rouge, échelle 1:1.


5. Suite à la décision de retrait des financements flamands du HISK à partir de 2023, les lauréat·e·s avaient lancé une pétition dénonçant le manque de vision du conseil d’administration et soulignant la nécessité de leur rôle consultatif dans la réforme de l’institution. Les perspectives du HISK restent à l’heure actuelle incertaines et tandis que le HISK quitte d’ores et déjà ses actuels locaux, l’institution ne démarre pas de nouvelle promotion d’artiste en 2023.