Chère Eva

Texte d'exposition, Eilandkwesties / Matières insulaires, Eva L'Hoest, LLS Palais Anvers, 14 septembre-26 octobre 2025

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Chère Eva

 

La rentrée bat son plein, et les insomnies persistent. On nous a volé le sommeil.


Les souvenirs de notre rencontre estivale me reviennent en pagaille dans mon soliloque nocturne. Je voulais te remercier de m’avoir présenté Leda. Votre ressemblance est troublante. Je n’ai pas osé t’en parler sur le moment, peut-être de peur de t’associer à son profil androgyne et à toutes les contradictions du mythe que son prénom ravive.

 

J’ai vu qu’Ostende la sub mer geait.Ni elle ni nous n’échappons à l’impératif du travail, prises dans une insatiable frénésie de maîtrise. Enchevêtrées dans nos contradictions et happées par les désirs tentaculaires, technologiques, nos tentatives pour nous en défaire paraissent dérisoires.

 

Un sentiment étrange continue de m’habiter en repensant au décor de la côte et à la lenteur étirée de nos journées. Je peine à nommer le charme fané de la station balnéaire, l’air de la fête et du carnaval ne sonne plus comme avant.Tout est là, dans les sourires grinçants et la médiocrité compassée de la bourgeoisie qui se dissimulent derrière les masques d’Ensor.


Sa « maison d’expérience » est un théâtre propice aux jeux d’apparition et de disparition qui façonnent souvent les espaces que tu nous fais traverser. Je comprends aussi que les faces masquées plaisent à Leda, tant les métaphores psychologiques qu’ils recèlent sont riches.

 

Leurs faux-semblants me rappellent ceux des gisants dont tu t'es déjà inspirée dans le passé. Je vois que ton obsession pour la mémoire ne s’épuise pas…Tu fouilles en archéologue les strates d’un monde digital envahi de données. Leda – en trait d’union entre ces réalités - est un sujet idoine pour poursuivre ta quête sur l’authenticité des images, des corps et des gestes.

 

C’est le reflux des Vagues de Virginia W qui m’est revenu aussi avec « le temps bleu des vacances » et le souvenir des « lieux géométriques ». Rien n’a d’emprise sur Leda lorsqu’elle déambule sous les colonnes, prisonnière des gouttes d’eau, et de son flux de conscience. Elle échappe à toute assignation, glisse entre les langues sans appartenance. Je la revois nonchalante, indécise, osciller entre terre et mer, et ses tensions.

 

La matière insulaire dont tu parles est bien le reflet de son isolement. Tout l’obsède dans les images trop lisses qui défilent, tournoient, explosent. Je me demande comment résister encore à la crise du temps. Les courses hippiques l’aident à décomposer la nature du mouvement.Quand bien même elle reprend le contrôle, rien ne l’épargne de la menace d’engloutissement.

 

Cette nuit, la tête en bord de mer, j’ai revécu quelque chose de l’origine de la création. Leda m’a conduite dans l’ambivalence de la machine, de la matrice, entre sécurité et perte d’individuation. Un espace fluide et informe de gestation.L’histoire du mythe – et ses destins héroïques et tragiques - résonne comme la métaphore de notre époque et du cocon technologique. La lune est rouge sang, tout vacille. Je ne sais plus si Leda et ses tourbillons ont existé.

 

Ne me reste que le triptyque, la boîte incandescente, dont jaillissent les corps. Je m’accroche à sa présence tangible. Ses contours fins disent à la fois l’obstination et la précision du geste. Aux prises avec l’angoisse de sa propre disparition - et de la dématérialisation-, Leda aurait donné forme à l’hybris, en y glissant tous ses désirs et ses pulsions. Une invitation charnelle à la reconnexion.

 

À bientôt


 

Antoinette

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